dimanche 16 mai 2021

Votations du 13 juin: l’opinion d’Yves Batardon, vigneron-paysan, membre de GPclimat-GE

En réaction au Quoi de Neuf N° 49 de GPclimat-CH, qui préconise de voter 2 x OUI aux initiatives : « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse » et « Pour une eau potable propre et une alimentation saine – Pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre Prophylactique ».

Yves Batardon, vigneron-paysan très engagé pour la protection de l’environnement et membre actif de GPclimat-GE, nous a fait parvenir son analyse des deux initiatives.

Son opinion diverge de la position de GPclimat-CH concernant la seconde initiative. Par souci d’équité nous avons donc décidé de publier son texte:

 

Votation concernant les initiatives pour une Suisse sans pesticides et Eau Propre

En tant que paysan je me questionne sans avoir besoin de détenir la vérité. Je suis paysan Vigneron (Bio viti, PI Agri). Je me permets d’exprimer mon ressenti sur les futures votations concernant l’agriculture. Nous paysan.ne.s, nous avons pour choix, soit d’avoir peur de perdre la technocratique PA 22, soit l’envie de participer à l’agriculture biologique. Personnellement je vais voter Oui à l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèses. Et Non à l’initiative Eau propre.

 

L’initiative « Pour une Suisse libre de pesticides de Synthèse », dite également Future 3.0, demande, dans un délai de 10 ans, l’interdiction de l’utilisation des produits phytosanitaires de synthèse en agriculture mais également pour l’entretien des paysages, espaces verts et espaces publics. Elle demande également à ce que les produits importés – pour l’alimentation humaine et animale – soient exempts de ces substances. On ne peut nier les faits suivants: - La pression des consommateur.trice.s pour des produits exempts de pesticides de synthèse est de plus en plus forte. - Nous assistons à un effondrement de la biodiversité ; à une dégradation de la qualité des sols et de l’eau, dont l’agriculture est en partie responsable. - La recherche tire la sonnette d’alarme sur les conséquences dramatiques des produits phytosanitaires de synthèse sur la santé et avant tout sur celle des paysan.ne.s. mais aussi que : - Nous assistons à la disparition du monde paysan : passage de 19% d’actifs agricoles en 1955 à 2% en 2005 ; à la disparition des fermes et des terres agricoles. - Les paysan.ne.s ont de moins en moins de marge de manœuvre ; on leur impose de plus en plus de contraintes environnementales et sur le bien-être animal, alors que la pression sur les prix payés à la production s’intensifie: les paysan.ne.s ne sont pas rémunéré.e.s à hauteur du travail fourni et des exigences demandées. - Les paysan.ne.s sont de plus en plus endetté.e.s. Vouloir se passer totalement de pesticides de synthèse est tout à fait louable et c’est ce vers quoi notre société doit tendre si nous voulons à l’avenir disposer de sols vivants et cultivables, et donc pouvoir nous nourrir. Mais pour ce faire nous avons besoin que le travail paysan soit justement et équitablement rétribué.

 

L’initiative < Pour une eau potable propre et une alimentation saine> souhaite conditionner l’obtention des paiements directs à plusieurs nouvelles règles, qui sont le renoncement aux pesticides de synthèse, le renoncement à l’utilisation de l’antibiothérapie prophylactique dans les troupeaux, et la détention d’animaux uniquement si leur fourrage peut être produit à 100% sur la ferme. Ce serait dramatique et empêcherait toute collaboration entre paysans. Contrairement au premier texte, elle ne dit rien quant à la problématique des importations, et ne demande d’efforts qu’aux familles paysannes. Un même but louable donc, mais un levier bien différent. Il s’agit d’un projet punitif qui désigne les familles paysannes comme seules coupables des pollutions observables dans nos cours d’eau. Dans leur argumentaire, le comité d’initiative a même l’audace d’affirmer que la population suisse paie les paysan.ne.s, via ses impôts et les paiements directs, pour polluer. Nous estimons que ce texte offre une très mauvaise solution au problème en présence. S’il est bien clair que la majorité des exploitations n’auraient d’autre choix que de se soumettre aux nouvelles conditions d’obtention des paiements directs, l’initiative n’interdit de fait pas l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire helvétique. Dans certaines branches de production, telles que la viticulture ou l’arboriculture, il n’est pas insensé de concevoir que des producteurs feraient le choix de poursuivre leur travail avec les substances en question. Le point le plus grave concerne cependant les importations. En omettant volontairement ce chapitre, l’initiative Pour une eau Propre fait la promotion d’une agriculture suisse bien propre en ordre, sans se soucier de ce qu’il se passe chez nos voisins, ou à l’autre bout du monde. Ne serait-ce pas là la mise en place d’un système à deux vitesses ? Or, ce qu'il nous faut c'est une alimentation saine pour toutes et tous, basée sur un système de production familial, paysan, le plus respectueux possible, et cela pour toutes les couches de la population.

En résumé:

L'initiative pour une Suisse libre de pesticides de synthèses est visionnaire, elle est simple, claire et donne l'opportunité de promouvoir entre les paysan.ne.s, la terre et les citoyen.ne.s consommateur.trice.s un avenir souhaitable. Mais pour ce faire, nous avons besoin que le travail des paysan.ne.s soit justement et équitablement rétribué.

 

L'initiative eau Propre est stigmatisante pour les paysan.ne.s, elle pousse au clivage entre une agriculture suisse bio dirigée et le libre marché, ceci permettrait une production avec des pesticides de synthèse industrielle en Suisse. Ceci sans maitriser la qualité des produits importés. 

 

Le OUI ou le NON ne doit pas découler de slogans, il est de notre responsabilité de citoyen.ne, d’écouter l'autre et de s’informer pour construire sa pensée. Non pas de la vérité, mais d’éléments factuels, scientifiques, sociaux, environnementaux et économiques crédibles. Actuellement, beaucoup de paysan.ne.s s’épuisent par loyauté à la terre. Le pouvoir politique en profite, il leur impose la compétitivité en exigeant une production toujours plus "durable". Cet antagonisme est intenable dans un système de plus en plus dérégulé, le prix de nos productions bio ou non bio a pour seule valeur celui que la Migros ou la Coop sont prêtes à donner. Les transformateurs et la grande distribution sont les maitres du jeu. Unique échappatoire, la vente directe nous permet de conserver de l’espoir. Pourtant chaque jour deux fermes disparaissent. La politique agricole technocratique prônée par la Confédération, n’est simplement pas compatible avec une agriculture familiale en lien avec la nature.

L’agriculture suisse en production sans pesticides de synthèse sera difficile à concrétiser, mais elle donnera une opportunité pour reconstruire le lien et la confiance entre nos campagnes et la population de notre pays. Dix ans pour parvenir progressivement à une agriculture équitable et sans pesticides de synthèse représente un défi à nous paysans, mais aussi à notre société. Ceci pour que demain, pour qu’en 2030, le pays compte 1000 fermes de plus qu’aujourd’hui. Une Suisse ou les paysan.ne.s formeront des apprenti.e.s avec fierté pour qu’ils et elles deviennent à leurs tours les paysan.ne.s de demain.

Information: Pesticides-en-question

   Yves Batardon, Soral Genève.